mardi 28 décembre 2010

Faites le Mur, un film de Banksy

Une grosse crève me clouant chez moi, je suppose que j'ai le temps pour mes élucubrations cinématiques d'autant plus qu'étant bénévole dans un cinéma j'ai la possibilité de voir beaucoup de films... Je me sens investie d'une mission d'utilité publique (*auto persuasion*) !

Le film de ce soir sera, vous l'aurez compris, celui de Banksy soi-disant sur le street artist Thierry Guetta aka Mr Brainwash. Pourquoi soi-disant ? Parce que le personnage excentrique de MBW est un peu gros. Pas par l'embonpoint mais par son "existence". Pour authentifier ce monsieur français qui a vécu son rêve américain à fond (revendre des vêtements vintages à 300% de leur prix aux bobos chics de L.A.) on nous montre des images d'archives familiales qui ne peuvent pas remettre en cause qu'il existe bel et bien, qu'il habite aux USA et qu'il est marié à une charmante femme (pas nommée Cathy heureusement).

Le film est présenté comme un documentaire sur ce personnage donc. De son intérêt à filmer, en passant par sa découverte des graffitis et finissant sur sa propre ascension dans le milieu appelé désormais "street art", avec comme élément déclencheur sa rencontre avec Banksy. Tout d'abord Thierry Guetta se contente de suivre les graffeurs comme leur ombre (leur tapant sur les nerfs souvent) durant leurs périples nocturnes ce qui lui permet de nouer des contacts au fil des rencontres, à commencer par son "cousin" le fameux Space Invader... Le film est truffé de détails gros comme des maisons qui décrédibilisent TG tout en mettant en valeur les autres artistes. Tiens d'ailleurs je trouve ça bien trouvé comme nom, Space Invader puisqu'il s'approprie les murs privés comme supports pour ses mosaïques, même jusque Rennes !

Je pense que le hoax, l'imposture, a eu lieu dans le secret et que le résultat est un film "foutage de gueule" pour la bonne cause. Le "documentaire" est fait de telle sorte qu'on y croie car il y a beaucoup d'éléments véridiques comme certaines images inédites sur les activités des artistes (par exemple la réserve de faux billets à l'effigie de Lady Di de Banksy ou la réalisation de la cabine téléphonique couchée) ou des aperçus très chouettes sur les "œuvres". Le moment où j'ai commencé à douter c'est justement l'histoire de la rencontre avec Banksy : un graffeur appelle TG tout d'un coup comme ça pour emmener Banksy sur les bons spots, ensuite TG lui offre un portable pour le joindre etc. Là où j'ai été convaincue c'est quand TG a eu son accident d'échelle alors qu'il préparait son expo. D'autres éléments sont plutôt humoristiques comme lorsque l'assistant se plaint, ou alors lorsque MBW négocie le prix exorbitant de ses toiles ou encore lorsque qu'il réalise des sérigraphies "uniques" au fauteuil roulant.


Le film documentaire moqueur est plus profond qu'il n'y parait et possède plusieurs niveaux d'interprétation. D'abord une réflexion sur la définition de l'Art, ici on ne parle pas du vulgaire graff' mais d'un moyen d'expression artistique avec une vraie démarche esthétique, pas de tags dégradant des murs urbains déjà laids. Mais est-ce que cela peut pour autant rivaliser avec Raphaël ou émouvoir les foules comme une œuvre majeure et universelle ? Justement, une autre question est soulevée, c'est celle des clients. Dans le film on montre ostentatoirement les Angelina Jolie et autres Jude Law en tant qu'amateurs "d'art underground" ou de riches s'encanaillant avec des "collections" Banksy. Alors, on achète pour faire cool ?

La question de l'authenticité est bien entendu omniprésente, avec TG et aussi au niveau des œuvres elles-mêmes d'ailleurs. Un pochoir ça se copie, un graffiti c'est anonyme, un style graphique ça s'imite, une photocopie ça se duplique... Banksy et un autre artiste, Shepard Fairey disent d'ailleurs de MBW qu'il s'est inspiré voire copié tous les styles graphiques rencontrés au cours des année et en a extrait le sens/l'essence. Alors démarche artistique ou nouveau Banksy cheap ? Ce que je trouve un peu euh, con c'est qu'au début du film Banksy (si c'est lui) nous dit "faire un film sur un mec plus intéressant que lui" alors qu'à la fin il le reconnait comme n'étant rien (ou alors un lointain héritier de Warhol). Formule détournée pour s'autovaloriser ? Tiens, d'ailleurs dans le film MBW n'effectue même pas lui-même les travaux. Lui, il a l'idée, c'est déjà pas mal... A moins que derrière MBW se cache vraiment un collectif ?

Le dernier aspect artistique questionné n'est pas nouveau mais prend encore plus de sens ici, il s'agit de la réflexion sur la célébrité rapide et l'étiquette "artiste" collée elle aussi rapidement depuis que l'Art est devenu moderne. Faire le plasticien dans la rue suffit-il pour se définir comme street artist ? Utiliser et détourner des graphismes déjà connus suffit-il pour se définir comme artiste controversé ?

Sinon du point de vue graphique et esthétique, j'ai quand même bien aimé le film. Pas par la façon dont c'était filmé (le côté caméra embarquée par TG me donne mal à la tête) mais plutôt par les aperçus graphiques. Le film, lui, énerve et certains conseillent même, à défaut de faire le mur, de faire l'impasse (Télérama)...

En tout cas, moi je découvre Banksy, même si je connaissais de loin son travail je n'avais pas de nom à mettre dessus. Je trouve son travail recherché et esthétique, et "rock"... J'ai une petite pensée émue pour l'artiste qui peint les ombres des lampadaires ou des bancs publics, c'est... c'est ... poétique d'un instant "T".

Image du milieu prise dans le supplément gratuit Beaux Arts.

Ah oui ! Et bonne année 2011 !